C ertes, par nature, par essence, par nécessité, un oiseau est « aviaire » – sauf quand vous dites d'un de vos voisins que c'est un drôle d'oiseau. J'évoque bien ici les oiseaux ordinaires, ces animaux bipèdes et ailés qui pondent des œufs. Les piafs. La volaille. Les zoziaux stricto sensu, en latin avis, d'où découle cet adjectif très courant ces temps-ci (au 24/10/2005), “aviaire” – un mot que je finirai par prendre en grippe… Depuis quelques temps j'ai pris l'habitude d'enregistrer certaines images publiées par le site “lemonde.fr” et qui accompagnent, qui « illustrent » certains articles. Le second terme entre guillemets car souvent elles ne l'illustrent pas et l'accompagnent sans autre motif apparent que : Internet est « multimédia » donc il faut orner les textes d'images, de sons, d'animations, etc. Parmi les images reprises, figure toute une série autour de LA grippe – vous savez, celle “aviaire”, qui me fit faire le jeu de mots concluant le paragraphe précédent. Certaines de ces images font partie d'un appareil spécial, les « objets multimédias » justement. On clique sur un lien tel que ceci :
Une fenêtre apparaît, avec la même image et le même texte en un peu plus gros, tels que ceci :
Où l'on le voit l'intérêt minime de la manœuvre. Cela je crois dénote un défaut de conception : il serait plus logique, ainsi que je le fais dans mes propres pages – et ainsi qu'il est fait sur le site ”lemonde.fr” pour des pages plus élaborées –, de ménager un espace sur celle où figure l'article. Mais ce site, une sorte d'annexe du quotidien Le Monde, a un format assez rigide qui se prête peu à ces fantaisies. Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos oiseaux. Donc, j'ai repris certains « objets multimédias » ; comme j'enregistre le tout (image et page “pop-up”[1]), il me faut donner un nom significatif à la page, pour la retrouver aisément plus tard, car celles du site ont des noms ésotériques, de la forme : d'où mon souci de leur donner un nom autre. Pour la série concernant
(parfois assez lointainement) la grippe aviaire, au début je n'avais pas d'idée, je les
nommais en fonction du sujet précis de l'article, puis à un moment j'ai décidé de les
nommer “[qqch] aviaire” ; par exemple, pour celle-ci :
Très problématique : elle “illustre” l'article intitulé « Un premier cas de grippe aviaire a été détecté en Grèce ». On lit que « le virus a été détecté sur un dindon dans une île de la mer Egée, à l'est du pays […]. D'après l'agence de presse AP, le dindon en question provient d'un élevage d'une vingtaine de bêtes, à Inoussa, une île de 14 kilomètres carrés non loin des côtes turques ». Thessalonique est sur le continent, à environ 400km de la Turquie et 500km d'Inoussa (qui est proche de l'île de Chios – Inoussa est trop petite pour figurer sur mon atlas…). Les oiseaux sur la photo sont visiblement des échassiers, probablement des hérons mais je ne suis guère compétent là-dessus, en tout cas pas des dindons d'élevage. Quel est le rapport, finalement ? C'est la Grèce, ce sont des oiseaux. J'ai hésité entre les deux mots, puis opté pour le nom qui fait le titre de cette page : “oiseaux aviaires.htm”. L'image est bien composée, et m'a donné l'occasion de découvrir le nom de Yannis Behrakis (en version originale, Γιαννη ΜΠεχρακη). La page http://www.apn.gr/photozone/behrakis/ vous montrera qu'en effet il a un talent certain pour la composition. Mais, quel est le rapport avec l'article ? L'indéniable prépondérance de la télévision parmi les médias de flux[2] a eu un effet délétère sur d'autres médias. Contrairement à ce
que tentent souvent de faire croire les gens qui réalisent des émissions de télévision,
en premier lieu celles dites « d'information », les images et les discours n'ont que
rarement un rapport direct. Mais l'usage déjà long et bien antérieur à l'apparition du
photogramme fixe puis animé – pendant longtemps, ce fut par la gravure « à l'estampe »
Donc, cette image ne « montre » ou ne « dit » rien ; elle accompagne le texte, sans faire la preuve qu'elle réfère à la réalité décrite ou à quelque réalité que ce soit. Pour mémoire, la voici de nouveau : ![]() Le « commentaire » qui l'accompagne est, pour mémoire encore : « Extrait d'une vidéo qui montre les débris du Boeing 737 qui s'est écrasé au Nigéria samedi 22 octobre au soir ». Je ne sais pas ce que « montre » la vidéo, mais en tout cas je suis incapable d'y « lire » (d'y discerner) le moindrement qu'il soit « les débris du Boeing 737 qui [etc.] ». Tiens, ça pourrait aussi bien être ça :
Ou encore, ça pourrait être ça :
Ou même, aussi bien :
Une image est une image et n'a que le sens qu'on veut lui donner. En fait les gravures du temps jadis ou les dessins de presse actuels ont plus de « sens » que les photos ou les films « de reportage ». Comme le remarquait Jean Baudrillard, me semble-t-il, le trait spécifique de ces images est de ne jamais montrer l'événement. Au mieux, elles en montrent les conséquences, bien souvent elles montrent « quelque chose » et le commentaire fait toute l'histoire. Prenez par exemple celle-ci :
Celle-là, je l'ai appelée “un scooter passe.htm”. Rapport au commentaire. Ben oui : un scooter passe devant un immeuble… Je ne suis pas sûr que la personne qui mit cette photo et ce commentaire en ligne ait eu nécessité de nous « informer » qu'« un scooter passe […] devant [un] immeuble ». Là oui, pour le coup « l'image parle ». Bon. Il passe. Il passe devant un immeuble. Un immeuble de Marseille 8°. Mais attention ! Pas n'importe lequel et pas n'importe quel jour ! Il « passe, le 22 octobre 2005 […] devant l'immeuble où habitait un couple dont les trois enfants ont été retrouvés morts ». C'est qu'à part un scooter qui passe il n'y a rien à montrer (ni à voir) : celui des enfants qui était dans cet immeuble (et non les trois, comme semble l'induire le commentaire) a été découvert le 19 octobre, le père et présumé assassin, retrouvé le lendemain loin de là et finalement écroué ce fatidique 22 octobre. J'admets, « un scooter passe, le 22 octobre 2005 dans le 8e arrondissement de Marseille, devant l'immeuble où habitait [etc.] ». Mais en toute franchise, le commentaire serait, « Un scooter passe, le 13 octobre 2005 dans le 18e arrondissement de Paris, devant l'immeuble où habitait un couple de réfugiés expulsé avec ses trois enfants » ou « Un scooter passe, le 24 septembre 2001 dans le quartier du Mirail à Toulouse, devant l'immeuble où habitait un couple dont les trois enfants ont été blessés par l'explosion de l'usine AZF » ou encore, « Un scooter passe, le 31 juillet 2004 dans le centre ville de Saint-Nazaire, devant l'immeuble où habitait un couple dont les trois enfants ont disparu il y a une semaine » que ça me persuaderait tout autant. Un scooter passe. Il passe devant un immeuble… Pour nous, passons sur ce scooter, et allons plus loin dans la discussion. Les images ne servent à rien dans cette matière des mass media qu'on appelle l'information, ou du moins, à rien en tant qu'information, ce qui n'est pas le cas dans d'autres contextes – fictions romanesques ou cinématographiques, essais, documentaires, poésie, contes, etc. – où elle peut (mais ce n'est pas nécessaire) « avoir du sens » ou en donner. Prenez l'image “hitchcock aviaire.htm” : c'est un objet artistique, culturel et social. Certes, l'image même n'est pas proprement significative, et le nom du fichier indique clairement une origine quelconque : “h_4_ill_691941_oiseaux_migrateurs-59.jpg”. Sans considérer les spécifications propres au site “lemonde.fr”, c'est donc une image montrant « des oiseaux migrateurs », voilà tout. Puis il y a le “commentaire” : « La psychose des oiseaux ». L'image « n'a pas de sens », ni le texte, mais l'interaction entre cette image et ce texte crée du sens, relie l'ensemble à une culture cinématographique qui fait comprendre le pourquoi des deux mots associés et de leur association à un vol de mouettes (ou de goélands, pour le non-ornithologue ça n'a pas beaucoup d'importance). De même, trois images successives et un son dans La Féline (la version originale par Tourneur) – l'ombre d'un félin, un cri, un « enquêteur », un brancard – et tout le sens d'une scène y est. Nul besoin de commentaires redondants, ou au contraire palliatifs de l'absence de sens des images. Avec d'autres cas pour « l'information » (au sens que les médias de flux donnent au mot) ou la « non information » on verrait que c'est plus souvent la « non information » que « l'information » qui informe (au sens général du mot) par les images. Par exemple, un journal télévisé typique consiste en ceci : un personnage lit son texte ; de temps à autres une image en incrustation « illustre » son discours ; ses tirades sont entrecoupées par des « reportages » composés de panoramiques, d'images fixes ou d'archives cousus d'un commentaire vaguement lié à ce qu'on montre, et d'“inserts” où « le reporter » raconte quelque chose ou fait une interview sur fond de « contexte » (un bout de désert irakien pour tel attentat, un champ de maïs pour les OGM, les tours d'une centrale électrique nucléaire pour la privatisation d'EDF, L'Élysée, Matignon ou Bercy pour vous savez qui, etc.), pour « prouver » que c'est du « travail de terrain » et qu'on est « sur l'événement », voire dedans. Mais il y a ce problème déjà évoqué : sauf cas spécifique (reportage de guerre), ou cas fortuit (un braquage de banque ou un accident qui a lieu sous les yeux d'un reporter), un journaliste est là après l'événement ; il ne montre pas le crime ni même la scène du crime mais le lieu du crime redevenu un lieu ordinaire ; il ne montre pas la vague du tsunami mais ses conséquences ; etc. Bien sûr, il y a les « événements politiques » et autres jamborees nationaux ou internationaux ; là aussi c'est une mise en scène : « Dominique de Villepin lance la privatisation partielle d'EDF », annonce “lemonde.fr” à la date du 24 octobre 2005 ; et l'on apprend que « le premier ministre, Dominique de Villepin, a affirmé, lundi 24 octobre, qu'il n'était "pas question de se désengager d'EDF" et que l'Etat conserverait "au moins 85% du capital" de l'entreprise. "D'après la loi, l'Etat doit rester actionnaire à plus de 70%. Nous avons décidé d'aller au-delà de ce seuil de garantie. Ma conviction, et celle de mon gouvernement, c'est que l'Etat a vocation à contrôler durablement EDF", a-t-il déclaré lors de la signature à Matignon du contrat de service public avec EDF ». Mais nous savons déjà tout cela depuis plusieurs jours ou, pour certains éléments, depuis quelques semaines, à cette date nous connaissons chacune de ces « informations nouvelles » qui tombent de la bouche de l'oracle de Matignon. Au passage, voici la photo qui illustre cet article : ![]() Privatisation d'EDF sur fond de centrale nucléaire… Et voici le commentaire qui l'accompagne : « La centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly. Le premier ministre, Dominique de Villepin, a annoncé, lundi 24 octobre 2005, l'ouverture du capital d'EDF ». Un scooter passe… Ce que dit Villepin est faux, bien sûr : l'ouverture à la concurrence du secteur énergétique fut décidée au niveau européen il y a dix ans, le gouvernement Jospin la prépara avant 2000, celui de Raffarin la mit en place dès 2003, le « projet de loi d'orientation sur l'énergie » entérinant la privatisation partielle d'EDF fut « déposé à l'Assemblée Nationale le 5 mai 2004 ». Dominique de Villepin « annonça » au mois de juillet 2005 ce qu'on savait donc depuis plus d'un an. Les images n'informent pas dans le cadre des « informations » sauce journalisme, et de ce point de vue ne servent à rien. Mais ne sont pas pour autant inutiles. Ce sont des instruments de propagande servant à appuyer un discours en le « dramatisant » ou au contraire en le « dédramatisant ». Considérant les choses, il n'y a pas de différence formelle entre usage « artistique » et « informatif » des images, quand du moins elles ont du sens : elles sont mises en scène en vue d'un effet d'ordre émotionnel. Mais en théorie le contrat est différent : dans l'art (où je classe aussi le documentaire et l'essai) l'émotion induite est « fausse », dans l'information elle est réputée « vraie ». Ce qui signifie qu'avec l'art le travail de l'artiste est assumé comme étant subjectif, et l'émotion induite non pas celle de l'objet même, mais celle de l'artiste exprimée à travers l'objet pour être transmise aux récepteurs de son message ; avec l'information, le journaliste, l'analyste ou le commentateur sont supposés objectifs, ce qui signifie qu'ils rendent compte d'une réalité qui leur est extérieure et n'en sont que les relais. C'est ce qu'un auteur intéressant, Jacques Le Bohec, appelle dans sa typologie le « mythe professionnel » de « l'extériorité »[3] : « Croyance que les journalistes, parce qu'ils revendiquent une position rhétorique d'observateur et narrateur par rapport aux événements, sont réellement extérieurs aux événements et ne participent pas à la réalité sociale ». Ce mythe fait couple avec celui de l'oppositition « fait/commentaire » : « Principe privilégié par certaines rédactions consistant à distinguer les faits (supposés bruts et purs, donc objectifs) des commentaires (nécessairement subjectifs), qui néglige les critères de hiérarchisation des informations ». Mais cette opposition, courante dans la vulgate journalistique, est un leurre autant qu'un mythe, la supposée subjectivité du commentaire est une « subjectivité objective », si du moins est « objectif » le “fait”, ce qui ne ressort pas de l'évidence première : on peut considérer également “subjectifs” ou “objectifs” le fait et son commentaire. Disons : l'opposition entre fait et commentaire est artificielle, dans les deux cas on s'appuie sur des éléments factuels de la réalité, et dans les deux cas il y a subjectivation. Dans un autre texte sur un propos tout autre je critiquais le fait que les journalistes, censés nous informer, apparaissent souvent de simples relais diffusant un certain point de vue, celui de leur groupe d'appartenance et souvent, celui des pouvoirs publics. Ça tournait autour des « zones de non droit » et d'un article paru dans Le Monde et du à Piotr Smolar. J'écrivais notamment : « On pourra me reprocher de vouloir que les journalistes-reporters donnent leur opinion sur un fait rapporté. […] Le journaliste est censé exposer le fait et, par ailleurs, quelqu'un, un “spécialiste” ou une “conscience”, se charge de la partie analyse. C'est un dogme, qui comme tout dogme repose sur une idéologie non démontrée. Je ne serai ni le premier ni le dernier sans doute à remarquer qu'un journaliste, aussi honnête se veuille-t-il, rapporte les faits non tels qu'ils sont, mais tels qu'il les comprend : je suis persuadé que Piotr Smolar est un type sincère et probe, mais entre autres choses, je relève qu'il fait du commentaire, implicite (en ‘constatant’ que “pour l'heure, les efforts du ministère en direction de ces quartiers n'ont eu qu'un impact limité”, ce qui n'a rien d'évident : qu'une politique ne résulte pas en une “amélioration” à court terme n'induit rien sur son efficacité à moyen ou long terme, une fois – supposera-t-on – que les causes seront éliminées ou jugulées ; dans la foulée en considérant sensiblement que “La création de 29 [GIR] et la nouvelle doctrine d'emploi des forces mobiles” ressortent d'un arsenal répressif “normal”, ce qui n'est pas si évident) et explicite (écrire “Parmi les autres, aucune surprise en vue. Les 20 endroits sont tous apparus dans les médias [etc.] », c'est considérer que, quoi qu'on pense de la politique actuelle de l'Intérieur, il y a effectivement des “quartiers” dont la détermination comme “zones de non droit” n'est pas surprenante, ergo qu'il y a effectivement de telles zones […] et surtout, que la médiatisation de certaines zones pour certains faits est un “certificat objectif de nondroi-ité”, ou un truc du genre, et là non plus ce n'est pas de la première évidence). Bref, l'idéologie implicite de Piotr Smolar lui fait écrire des choses qui ont peu à voir avec l'objectivité, beaucoup avec ses préjugés sur la “nondroi-ité”, la validité des informations médiatisées et la politique gouvernementale, circonstancielle ou habituelle ». L'appareil général d'un article illustré répond à une logique qui n'est guère neutre et objective, d'autant si son auteur croit être tel. On peut dire que cette objectivité est aussi absente du travail du journaliste réputé neutre que de celui du journaliste propagandiste, car cette supposée neutralité consiste à décrire une situation dans l'axe, sinon de l'idéologie dominante du moins des interprétations les plus courantes ; en outre, pour revenir à un point développé plus haut, il y a donc cette compulsion à « illustrer », laquelle tend, par un choix souvent hasardeux, à disqualifier la valeur des images, mais surtout l'intérêt réel que peut avoir l'illustration d'un texte. Jusqu'ici j'ai pris des exemples où l'illustration n'a pas d'intérêt réel autre que, parfois, la qualité propre de l'image (cas des « oiseaux aviaires »), sinon pour l'image nommée « hitchock aviaire » ; il arrive cependant, et c'est heureux, que ces images aient un intérêt comme commentaire ou une valeur propre. Par exemple celle-ci : ![]() Un dessin de Nicolas Vital sobrement intitulé « Panique aviaire » mais qui peut se passer de tout titre ou commentaire dans le contexte. Il arrive aussi, il arrive surtout, qu'elles aillent dans le sens d'une mise en scène de la réalité qui n'a rien de réaliste, qui « invente » cette réalité, qui la « fictionne ». Comme celle-ci, illustrant un article intitulé « Enquête. Scénarios catastrophe pour une grippe fatale » : ![]() Le terme “enquête” est abusif, il s'agit bien plutôt d'un reportage avec compilation de quelques documents officiels. Sous cette image on lit ceci : « Exercice d'alerte après une simulation d'attaque chimique à la station Invalides dans la nuit du 22 au 23 octobre 2003. Policiers, secouristes, médecins et pompiers coordonnent leurs efforts dans le cadre du plan Piratox adopté en 2002 ». Or, dans notre « enquête » on a ce paragraphe : « Tous les exercices de simulation ne sont donc pas rendus publics. C'est le cas de celui qui s'est tenu le 30 juin, aux Invalides, à Paris. Ce jour-là, de 9 heures du matin jusqu'au soir, le secrétariat général de la défense nationale (SGDN), rattaché à Matignon, avait imaginé qu'une épidémie de grippe aviaire touchait la France. Boulevard Latour-Maubourg, on a l'habitude de concevoir ces scénarios de politique-fiction. Mais c'était la première fois que, dans le plus grand secret, on organisait, autour de la grippe aviaire, un scénario de cette ampleur. Avec de vrais acteurs ». Suit une description de cet « exercice de simulation » qui, sous les apparences de l'exactitude, laisse une place importante à l'imagination, notamment en ce qui concerne les aspects de (sic !) « simulation réelle », d'autant qu'elle est précédée de la description d'un exercice de terrain, mais lui, à venir. Bien sûr, on peut dire qu'il n'y a pas « tromperie sur la marchandise », la photo est dûment documentée et située, et tout ce qu'on veut en matière de « déontologie ». Mais sauf quelques pervers de mon genre, qui lit les légendes des photos ? L'image n'est pas « fausse », elle rend compte d'un exercice réel ; le premier récit n'est pas « faux », il rend compte d'un exercice prévu (bien que non réalisé) ; le second n'est pas « faux », il rend compte d'une « simulation » qui est supposée s'être déroulée le 30 juin 2005[4], sauf qu'ici encore le terme employé est assez abusif : il ne s'agit pas de « simuler » mais de conditionner, de mettre un certain public dans un certain état pour en obtenir une certaine attitude. Comme de commander ou d'inciter à commander des masques de protection ou du “Tamiflu”. Même si c'est inutile. Un minimum d'information fait comprendre que cette image ne peut illustrer je ne sais quel exercice « aviaire » mais plutôt un exercice de type « menace biologique et chimique ». Peu importe : le but recherché, même si inconscient, est de dramatiser le propos et de valider l'opinion diffusée par médias et décideurs sur la grande dangerosité de « la grippe ». L'autrice/eur de l'« enquête » ou de la mise en page est probablement persuadé(e) qu'« il faut agir contre la menace », et en illustrant l'article d'une image frappante voire angoissante, ne fait pas un geste intentionnellement propagandiste, cela montre juste que la propagande sur la grippe aviaire et sa possible transmissibilité aux humains a bien fonctionné sur elle/lui[5]. Là-dessus, comme je ne veux pas être taxé de mauvais esprit, je vous invite à cliquer sur ce lien histoire de vous faire votre idée sur l'article en question. Bref aparteJe viens d'avoir un échange avec un journaliste de […] à propos d'un article sur […] – je censure, car je ne veux pas mettre ce journaliste dans l'embarras, étant donné que je vais me servir ici de notre correspondance. Peu importe d'ailleurs l'article, car l'échange portait sur une phrase passe-partout écrite dans des dizaines d'articles sur des sujets comparables (« fait diver sordide en banlieue avec “d'jeun's” »). Voici donc le message que j'envoyai à mon journaliste : « Olivier Hammam réagit à l'article suivant : Désolé pour les fautes de frappe. Vous le voyez, c'est une phrase bateau. que j'ai lue cent fois et plus. Notamment pour l'assassinat d'un homo à Marseille, celui d'un routard je ne sais plus où du côté de Bordeaux, et bien d'autres cas, dont celui que j'évoque un peu plus loin. J'ai reçu cette réponse : « Bonjour, Et j'ai envoyé cette réponse en retour : « Bonjour encore, J'espère recevoir une autre réponse, pour compléter cet aparté. Donc, mon correspondant pense que « cela semble signifier que les auteurs présumés
ne sont ni connus des services de police, ni des éducateurs ou magistrats spécialisés.
Qu'il n'y a pas de déscolarisation précoce, de troubles apparents du comportement lors
des comparutions », et que « les propos sibyllins du magistrat ne semblaient pas
viser une origine sociale ou ethnique des auteurs présumés ». Quel est le problème,
quel est le biais pour que pour notre journaliste « il semble » une certaine chose et que
pour son lecteur moyen « il semble » autre chose ? Je ne doute pas de son honnêteté ni
de sa sincérité, pas plus que je ne doute qu'Ariane Chemin, autrice de l'article sur les
« scénarios catastrophe pour une grippe fatale », a une distance critique sur le délire qui
entoure, depuis le début de la saison des marroniers (août, dans les médias, qui ont un
peu de retard sur le La connivence n'est pas la complicité ou la compromission : les journalistes, par leur métier et sa spécialisation, fréquentent en général les mêmes milieux et rencontrent les mêmes personnes ; par cette habitude, ils finissent par « interpréter » les propos de leurs interlocuteurs habituels de la manière dont eux-mêmes le font. la principale raison pour laquelle Florence Aubenas refusa de se « spécialiser » (je l'entendais raconter ça sur ma radio) fut d'éviter cette routine, qui débouche inévitablement vers le conformisme et, corollairement, la déformation de la réalité rapportée : on finit par écrire ou parler avec des stéréotypes, « le profil d'un délinquant », « les scénarios catastrophe », ou par adopter les termes de ses interlocuteurs sans trop s'interroger sur leur validité. Que François Heisbourg et ses collègues aient estimé judicieux pour leur « plan marketing » de nommer leur opération de propagande autour de la grippe aviaire une « simulation » est une chose ; qu'Ariane Chemin avalise la chose en est une autre. Une certaine « objectivité » ne l'est guère et dépend du degré de croyance du médiateur dans la validité des faits évoqués. Ici, Ariane Chemin croit probablement « faire dans l'objectivité », mais quand elle écrit que « la simulation [dans le Finistère] ne concernera pas la crise la plus aiguë sur l'échelle des risques puisque aucune contamination à l'homme n'est prévue », elle indique en creux que la « contamination à l'homme » est une donnée acceptable, un risque à prendre en compte. La première phrase de l'article, « Le scénario rédigé par les autorités de l'Etat est angoissant, mais simple. Soit un "foyer primaire de grippe aviaire hautement pathogène avec forte mortalité dans une zone dense d'élevage avicole" », est encore plus significative : en quoi « le scénario » est-il « angoissant » ? Pour rappel, depuis les débuts de cette psychose aviaire cyclique, il y a plus de deux ans, on a recensé moins de 80 cas mortels de contamination à l'homme ; Ariane Chemin ne s'intéressant guère ici aux problèmes existentiels de la gent poulardière ou aux possibles problèmes économiques de la gent agriculturelle dans le cadre de cet article, l'angoisse qu'elle évoque se dirige donc vers les humains autres qu'agriculteurs, et précisément, vers elle-même. Une analyse objective de la situation indique pourtant qu'elle n'est pas très angoissante pour cette gent-là : avec moins de 80 cas mortels de contamination sur 30 mois pour un bassin de population de quatre milliards d'individus (Europe, Asie et pourtour méditerranéen), ça donne une incidence mensuelle d'environ 1 pour deux milliards. Pas de quoi avoir des angoisses, d'autant quand on connaît les conditions très spécifiques dans lesquelles cette rare contamination se produit. Le plus grave dans cet article me semble le fait qu'Ariane Chemin ne met pas en cause le caractère de « simulation » de « [l'exercice] qui s'et tenu le 30 juin, aux Invalides, à Paris » à l'instigation de François Heisbourg, « conseiller spécial du président » (de la République, s'entend), ou à celle de Matignon, et en tout cas sous l'égide du premier ministre. Elle donne dans le « factuel » alors qu'à l'analyse il n'y a pas de faits, il n'y a que du « spectacle », une mise en scène de la réalité sans rien de réel : elle parle d'un exercice qui n'a pas eu lieu « comme si » c'était “pour de vrai” (non pas la simulation, mais l'accomplissement de l'exercice) ; elle parle de la propagande heisbourgienne « comme si » c'était une simulation de crise (alors que l'expérience nous montre qu'au contraire du « scénario » décrit le premier mouvement des autorités lors d'une crise réelle est de la minimiser le plus possible, et non de la dramatiser. Pour mémoire, le cas notable d'une crise réelle, le nuage radioactif de Tchernobyl, et la manière dont nos autorités ont réagi). Comme l'écrivait Guy Debord dans les fragments 8 et 9 de La Société du spectacle : « 8 – On ne peut opposer abstraitement le spectacle et l’activité
sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le spectacle qui inverse
le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement
envahie par la contemplation du spectacle, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire
en lui donnant une adhésion positive. La réalité objective est présente des deux côtés.
Chaque notion ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité
surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. Cette aliénation réciproque est
l’essence et le soutien de la société existante.« Tel que [1] Pour qui ne s'intéresserait pas aux termes en
usage sur Internet, les pop-ups sont ces pages qui, en cliquant sur un lien ou de
manière non sollicitée et intempestive (en général pour de la publicité) s'ouvrent dans
une fenêtre en avant de la page qu'on était en train de (ou qu'on s'apprêtait à) visionner.
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